13 minutes de lecture

Le SNUDI-FO 53 met à disposition libre un article du journal en ligne LEGLOB JOURNAL, avec son aimable autorisation.

Télécharger l’article

Ecole – Le revers de la médaille de l’ « inclusion en milieu ordinaire »
Avec l’autorisation de leglob-journal.fr 2 novembre 2021
Réalité

Des prises de paroles. Des remontées écrites d’enseignants d’écoles mayennaises faites à leur hiérarchie dont les copies ont été accordées au SNUDI-FO, un syndicat d’enseignants en Mayenne. Il s’agit bien souvent de saisines du CHSCT (Comité hygiène, sécurité et conditions de travail). Leglob-journal les publie car il est indispensable qu’elles ne soient pas passées sous silence, et sagement rangées dans un fichier d’ordinateur. D’ailleurs le syndicat devrait, nous a t-il dit, réaliser prochainement « un dossier très complet sur cette problématique de l’inclusion en milieu ordinaire » dont le Dasen lui-même expliquait dans un récent entretien au Glob-journal qu’elle était perfectible.

Des témoignages recensés depuis 2016
Par des enseignants en Mayenne

Donner à voir, à lire et à comprendre, c’est aller dans le sens de la nécessaire transparence.
En Mayenne, pour cette rentrée scolaire de septembre 2021, et selon l’Inspection d’académie, « 2546 élèves sont reconnus en situation de handicap dans le département. » Ils sont « 1422 » selon la Direction académique des services de l’Education nationale en Mayenne (Dasen) à être « scolarisés en classe ordinaire … Enfants ou adolescents handicapés peuvent, sous certaines conditions, être scolarisés soit dans une classe ordinaire, soit dans une « classe d’intégration scolaire » (CLIS). Les CLIS* se substituent aux classes spéciales et sont de quatre types : pour handicapés mentaux, auditifs, visuels ou moteurs.

Ces mesures ont été prises afin d’éviter la ségrégation dont les élèves handicapés pourraient être victimes, et pour favoriser leur intégration. En effet, l’expérience a prouvé que l’intégration des élèves handicapés en milieu scolaire est un enrichissement pour toute la communauté éducative. »

Selon le Snudi-FO qui nous a communiqué ces témoignages que vous allez lire ci-dessous et qui méritent, encore une fois, d’être publiés, l’inclusion en milieu ordinaire a toute sa place dans le cadre de l’Education nationale « depuis la parution de la loi de 2005. Pas question donc de revenir en arrière, mais il s’agit bien de faire évoluer le dispositif« .
Pour sa part, le Dasen Denis Waleckx n’a-t-il pas reconnu qu’il y avait des pistes d’amélioration dans un entretien qu’il a donné récemment au Glob-Journal.

Même avis pour le syndicat d’enseignants du Premier degré, le Snu-Ipp a écrit au ministre Jean-Michel Blanquer pour réclamer en matière d’inclusion en milieu ordinaire, au delà du « quantitatif« , plus de « qualitatif« , en estimant qu’ »à l’heure de l’inclusion, les classes chargées en primaire sont un empêchement à bien faire son travail notamment en direction des élèves à besoins spécifiques. Démunis, isolés, [les enseignants] portent à bout de bras l’objectif positif de parcours de scolarisation pour tous. Nous pensons que l’école doit se doter de plateau technique avec infirmières, médecins, RASED, etc. »

Depuis plus de 10 ans, [le snudi-FO 53, mais il n’est pas seul syndicat à le faire] alerte sur les conséquences prévisibles en matière de fermeture de structures spécialisées ainsi que sur les conditions difficiles de mise en oeuvre de la loi de 2005 sans moyens supplémentaires et sans analyse spécifique des situations de handicap« .
Selon le syndicat, « La réduction drastique des dépenses publiques exigées par les politiques européennes serait la conséquence de cette réduction des dépenses […] avec un déni des droits universels. Et si dans l’enseignement, l’impact est lourd, ce n’est guère mieux pour la protection sociale, la santé, les soins en psychiatrie, l’action sociale, la protection de l’enfance et de la famille, l’aide médico-sociale… »

Observateur comme les autres syndicats d’enseignants en Mayenne, , le Snudi-FO 53 constate que « dans les écoles du département : la prise en compte des besoins individuels et des spécificités des handicaps est trop souvent ignorée. » (Ecoutez le podcast ici).

Voici donc des témoignages d’enseignants du Premier degré, bien souvent issus de saisines du CHSCT. Le Snudi-FO en a recueillis « beaucoup » . Les noms ont été anonymisés, mais les situations hélas sont bien réelles…
Leglob-journal les publie tels quels, pour que chacun puisse se faire une idée de ce que signifie, aussi, l’expression consacrée dans le monde éducatif : « inclusion en milieu ordinaire » .

Les problèmes de comportement d’un élève, pourtant scolarisé à mi-temps dans l’école depuis le XX/XX/XXXX empêchent le bon fonctionnement de la classe. Cela génère beaucoup de mal-être au travail. Les violences répétées envers les élèves, moi-même et les autres adultes de l’école (violences verbales et physiques) nuisent gravement au climat de la classe. Cela remet en question la sécurité des élèves et des adultes, d’autant plus que cet élève est incontrôlable et imprévisible. NB : l’élève devrait être accueilli en ITEP [Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique, établissement médico-social, NDLR] mais il n’y a plus de place.

Situation très préoccupante d’un élève XXXX. Cet élève me donne des coups (coups de pied…) et profère des insultes et a gestes très déplacés, envers les autres.
Après de nombreuses tentatives d’aménagements pédagogiques, je suis totalement épuisée et démunie face à la dégradation constante des conditions de travail dans lesquelles j’exerce. Le climat scolaire est catastrophique et les conditions d’apprentissages ne sont plus réunies.

La sécurité des enfants n’est pas assurée dans l’école (classe, cour de récréation) du fait du comportement violent d’un enfant. Il tape, mord, pince ses camarades, lance des objets. Il étrangle également les élèves. Il agit de même avec tous les adultes de l’école. Les enfants sont témoins de scène de violence dans leur classe au quotidien. L’organisation des enseignements est impossible à assurer dans ce climat de violence et de stress.

De retour de la cantine, XXXX est agité. Il frappe une élève de CP, en lui mettant un coup de poing dans les lunettes. Je vais voir XXXX, lui explique qu’il est interdit d’être violent avec les autres. XXXX reconnaît son geste ; je le prends par la main et lui dit de rester près de moi, près du portail cinq minutes, le temps qu’il se calme. XXXX n’est pas d’accord, il veut continuer à jouer. Il s’énerve, refuse d’avancer vers le portail puis finalement avance. Ensuite, il s’énerve à nouveau. Il me tord le poignet, et me met un coup de pied dans le tibia puis un coup de poing dans le bras. Je comprends qu’XXXX me répond : « C’est pas toi qui décide, ce sont les hommes qui décident ». XXXX s’échappe alors un peu plus loin en affirmant « moi je suis rapide ». Je le menace d’une punition plus longue et compte jusqu’à trois. XXXX revient et s’assoit.

Alors qu’il semblait plus calme, XXXX s’énerve à nouveau. Il se tape la tête contre la baie vitrée du préau à plusieurs reprises puis se griffe le visage avec ses deux mains jusqu’à mon intervention. XXXX ne se maitrise plus. (…). Cela demande donc une surveillance constante et renforcée des adultes. Le comportement d’XXXX en classe (il se lève sans arrêt, interrompt sans cesse l’adulte, fait tomber volontairement les affaires de ses camarades … ) nuit à l’ambiance de classe et aux apprentissages des autres élèves de la classe. XXXX a également été exclu des services périscolaires en lien avec son comportement le midi à la cantine (doigts d’honneur, menace les autres élèves avec un couteau … ).

Depuis plusieurs semaines, un enfant scolarisé en Grande section entre régulièrement en crise à l’école. Il lance alors des objets (chaises, livres ateliers en bois …) et plus généralement, tout ce qui est à sa portée à travers la classe. Depuis quelque temps, il vise aussi ses camarades ou les adultes. Cet élève frappe également ses camarades en leur donnant des coups de pied ou en les pinçant. Il pince régulièrement les parties génitales de ses camarades. Quand nous intervenons pour le calmer pour le protéger et protéger les autres, il se met à nous frapper aussi. Il nous mord, nous pince, nous griffe, nous donne des coups de pieds, des coups de coude ou de poing.

Il entre parfois dans un tel état de colère que nous sommes obligées de le contenir physiquement, parfois à plusieurs adultes. Dans ce cas, se pose un autre problème, celui de la surveillance de nos élèves. En effet, nous le sortons de la classe, pour que les autres élèves ne soient pas témoin de cette violence mais dans ce cas nous ne pouvons plus faire classe, car c’est soit une ATSEM, soit la cuisinière qui surveille notre classe pendant que nous tentons de gérer la crise.
Le discours avec les parents est fermé, ils s’énervent quand nous abordons le problème, rejettent la faute sur l’ancienne école et sur nous, qui selon eux, ne mettons pas assez de règles ou qui ne sommes pas assez ferme avec lui. Les autres parents d’élèves commencent à s’inquiéter et à s’énerver contre cette famille. L’ambiance est très tendue. Nous sommes toutes, enseignantes, ATSEM, personnels des Temps d’activités périscolaires (TAP), éprouvées tant physiquement que moralement et nous sommes inquiètes de ce qui peut arriver (accidents graves, altercations avec les parents, violence entre parents, violence de la famille envers l’école).

En XXXX, XXXX est devenu totalement ingérable (crise de hurlements, lancé de matériel et de mobilier scolaire, frappe d’adultes et d’enfants, tentative de s’échapper de la classe et de l’école, destruction de mobilier et des objets à sa portée etc. Les adultes sont obligés de le maintenir physiquement au sol). Plusieurs élèves de la classe présentent des difficultés de comportement similaires, il devient alors impossible de faire classe. Le XX/XX/XXXX l’enseignante de la classe (alors seule à l’école, la deuxième classe étant en sortie scolaire est obligée de faire appel aux pompiers pour pouvoir gérer cet élève. (…) Suite à la prise de ces mesures et après une période de mise en place et d’observation, la situation ne s’améliore pas.

Depuis la rentrée des congés d’hiver, les crises de l’élève sont de plus en plus violentes. Les crises sont quotidiennes voire pluriquotidiennes, pouvant durer de dix minutes à 2h30, ce qui impute également les apprentissages de l’élève.
L’AVS est alors obligé de tenter de canaliser physiquement l’élève et est victime d’un déferlement violence : crachats, coups à la tête, coups de pieds ayant entrainé de nombreux bleus, insultes et menaces : « je vais te tuer ; je vais te défoncer». A plusieurs reprises l’élève a tenté de fuir de l’école en passant par l’accès situé à l’arrière de l’école non clos. L’élève doit alors être isolé dans une pièce fermée à clé, en présence de l’AVS… »

Toutes ces ombres qui noircissent le tableau de l’inclusion ne doivent pas faire oublier, tout de même, qu’il existe ici ou là des cas réussis en milieu ordinaire. Le projet d’une école inclusive demeure « une nécessité démocratique » qui manifestement, appelle beaucoup de moyens.

*Clis appelée actuellement Ulis


La BD ci-dessous, de notre collègue Jac Risso, illustre une situation que beaucoup d’entre nous connaissent. Elle n’a pas pour objet de stigmatiser l’autisme qui comme chacun le sait est une réalité multiforme.